Discutons tard ce soir...

21 janvier 2007

[Economie] "Ce que nous avons pris, nous le gardons" Leonid Brejnev

par Vincent BRYANT à 11:43

Ou comment vivre en pensant toute sa vie "Après nous, le déluge".

Papagrieng a déjà mis en avant à plusieurs reprises les arguments de certains contributeurs de Wikibéral (que l'on peut qualifier sans trop de jugement hardi ultra-libéraux). Dernièrement le fameux "progrès infini" dont nous avons parlé en commentaires sur le sujet suivant : http://quatreheures.blogspot.com/2007/01/environnement-compensation-volontaire.html.

Le pendant de cet argument souvent présenté par les anti-taxe ultra-libéraux est que notre pouvoir d'achat d'aujourd'hui est plus important que celui de nos petits-enfants.

Ainsi selon eux le monde d'aujourd'hui est pauvre. Le PIB moyen annuel par tête est d'environ 5 500 €. Grâce à l'amélioration des technologies et à leur diffusion, le monde devrait être bien plus riche en 2100. Avec une croissance annuelle de 2 %, le PIB moyen annuel par tête devrait atteindre presque 40 000 € (en pouvoir d'achat équivalent 2006).*
Ainsi les individus d'aujourd'hui (au sens économique) ont plus besoin des 50 € investissables que des 400 € que les individus de 2100 auront besoin. Cela revient à dire que le pouvoir d'achat d'aujourd'hui a un poids plus important sur l'échelle de décision économique que le pouvoir d'achat des individus de 2100** ; ou encore par extraplation légèrement exagérée (mais pas tant que ça dans leur esprit) que notre confort aujourd'hui a plus d'importance que celui de nos petits enfants. Pour eux la réussite est exclusivement associée à la volonté/capacité individuelle et jamais à l'environnement associé.

(On peut raisonnablement se poser la question d'une telle façon de penser dans l'intérêt de la perpétuation de l'espèce humaine. Après nous le déluge ; chacun se débrouille par lui-même et ceux qui viendront après idem. Mais heureusement le "progrès est infini", donc on va s'en sortir. Ouf on a eu chaud !)

Maintenant, ce raisonnement laisse apparaître de fortes lacunes auquel on peut apporter 2 arguments limitatif et contradictoire :
- Premièrement, le point de vue mathématique, au sens logique. Ce raisonnement ne tient que si l'assertion imposée (le monde va connaître une croissance continue de 2 % jusqu'en 2100) tient. Or selon un de mes précepts préférés : les performances passées ne présument pas des résultats futurs (argument déjà utilisé contre le "progrès infini"), il est tout aussi incertain que le monde connaîtra une croissance annuelle de 2 % jusqu'en 2100, que le monde ne connaîtra jamais cette croissance. Ca c'était l'argument limitatif : les hypothèses doivent être tenues si on veut appliquer ce raisonnement. Peut-on raisonnablement prendre des décisions aujourd'hui qui conditionnent les capacités de nos enfants à (sur)vivre sur un raisonnement dont les hypothèses sont si fragiles ?
- Deuxièmement, le point de vue économique. La différenciation temporelle des pouvoirs d'achat imposées par ce mouvement de pensée souffre d'une contradiction notoire quand on applique la même logique au monde d'aujourd'hui.
Ainsi les PIB annuels moyens par tête sont aujourd'hui à 30 000 € aux Etats-Unis, au Japon et en Europe occidentale et à moins de 5 000 € pour la moitié la plus pauvre de la planète. La logique donc selon laquelle nous avons davantage besoin de 50 € aujourd'hui que nos descendants de 400 € en 2100 veut que nous devrions taxer davantage les riches d'aujourd'hui.* Et ce, aussi longtemps que les 400 € prélevés dans les pays riches (par analogie les 400 € des individus plus riches de 2100) engendrent l'équivalent de 50 € de revenu pour les pays pauvres (par analogie les 50 € des individus d'aujourd'hui, nous !). Pour un bon moment donc.
Or ... CQFD !

Cela revient à dire que si on veut se permettre d'être avares avec nos petits-enfants en leur laissant un éco-système désastreux parce qu'étant plus riches ils s'en sortiront mieux que nous avec 1 € équivalent 2006 investi, il faut en tout logique dans un soucis de cohérence économique que nous soyons très généreux avec les pays les plus pauvres aujourd'hui.***

On ne peut en tout état de cause demander une solidarité trans-générationnelle parce qu'elle nous arrange, et refuser une solidarité équivalente géographique parce qu'elle nous gêne.

Il nous faut, si nous ne sommes pas généreux avec les pauvres d'aujourd'hui être solidaire avec les générations futures. Ce raisonnement n'est pas une dérive syllogistique malgré les apparences capilotractées. La solidarité s'opèrent simplement sur des "terrains" différents mais le mécanisme économique est exactement le même.

De quoi donner du grain à moudre à nos amis de Wikibéral, non ?

* Source : J. BRADFORD DELONG, professeur à l'université de Californie (Berkeley)

** Cette réflexion est pertinente dans le sens où on se dit qu'il est important de conserver les 50 € aujourd'hui pour les utiliser à bon escient et ainsi permettre de développer les structures, technologies, etc richesses économiques en somme nécessaire à la valorisation future du pouvoir d'achat des individus de 2100. Par l'exemple, il faut garder les 50 € pour investir dans les nouvelles technologies (par exemple ou participer au développement économique plus généralement) ainsi, en 2100 les individus auront les moyens de leur pouvoir d'achat grâce à notre développement économique antérieur. C'est logique, mais si on efface la notion d'objectifs temporels, d'un point de vue vital, on s'en fiche que les 50 € soient conservés ou dépensés, car si la croissance continue, le pouvoir d'achat de 2100 issu des 50 € dépensés en 2006, atteindra le même niveau mais pas en 2100, en 2101 si on conserve les 50 €. C'est la même logique avec le principe de précaution appliqué ou pas. Si il est appliqué certaines technologies/produits/services sortiront avec 10 ans de retard que si on ne l'applique pas. Quel est le problème ?

*** L'argument de l'éco-système désastreux laissé à nos petits-enfants qui plus riches s'en sortiront n'est valable que si on a remplacé tous les services fournis par l'éco-système (en perdition pour rappel). Parce que plus riches mais sans eau, le monde ne va pas loin longtemps.

Ensuite, de la même façon que les ultra-libéraux partent des hypothèses de croissance continue ou de progrès infini, on peut émettre un raisonnement équivalent dans le sens inverse : le monde et son environnement vont se dégrader de 2 % par an jusqu'en 2100 (i.e. perte de 2 % en valeur économique des services fournis par la nature), donc si on ne substitue pas tous les services fournis par la nature, on arrive en 2100 avec un monde invivable. A ce moment là les 50 € investissables en 2006 ont une sacrée valeur économiquement parlant. Mais là on revient à l'analyse coûts-bénéfices de Stern sur la vertue de l'action comparée aux coûts de l'inaction.

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9 Comments:

  • En lien sur le document externe, le blog d'un économiste australien qui prône la taxation de ce qui pose problème à hauteur de 10 c€ par litre de carburant consommé.

    Je trouve ça loin d'être suffisant, et je pense comme Jancovici qu'il ne faut pas un prix unique mais une taxe qui augmente plus vite que le pouvoir d'achat.

    By Blogger Vincent BRYANT, at dimanche 21 janvier 2007 à 13:10:00 UTC+1  

  • Merci, je me sentais un peu seul à m'intéresser aux idées et non aux mises en pratiques.

    En plus ça me fait plaisir de découvrir une autre façon de raisonner sur ces mêmes sujets.

    J'ai effectivement du mal à dénouer ce sujet: nous pouvons prendre tout ce que nous voulons à nos arrières-petits-enfants, pour la bonne raison qu'ils ne sont pas encore là pour se défendre. Et le jour où ils nous le reprocherons, nous ne serons plus là pour qu'ils se vengent. Rhâââ, comment sortir de cette logique ???

    By Blogger pgg.au, at dimanche 21 janvier 2007 à 20:49:00 UTC+1  

  • Mon cerveau ne marche plus bien ce soir, je relirai ton article demain pour tenter de le comprendre mais j'ai envie de mettre mon grain de sel . Avez-vous déjà entendu parler du PID ou Produit Interieur Doux (par opposition au PIB)? Pour les curieux c'est par là http://www.mainsdoeuvres.org/view_article.asp?id=555
    Il s'agit d'un moyen de redéfinir la richesse en prenant en compte d'autres richesses que les flux financiers...

    By Blogger Olivier, at lundi 22 janvier 2007 à 23:36:00 UTC+1  

  • Salut Olivier,

    merci pour ce lien intéressant dont je n'avais pas connaissance.

    Il existe de nombreux autres indicateurs économiques comme l'IDH par exemple qui prenne plus ou moins en compte tel ou tel paramètre social et / ou environnemental.

    Le PID en semble être un nouvel autre. Seulement je ne suis pas sûr que choisir un indicateur qui donne un poids différend (car ce n'est que cela en fait) à la valeur des activités selon qu'elles soient destructrices ou génératrices de valeur sociales et / ou environnementale soit une solution en soit.
    Car premièrement je ne vois pas comment cela s'inscrit d'un point de vue économique (comment la contrainte s'inscrit au niveau économique, si l'objectif est seulement faisons augmenter le PID, on ne voit pas la nature du signal aussi fort soit-il) et deuxièmement je n'aime pas l'approche top-down, je préfère la bottom-up dans ce cas précis.
    Dans tous les cas (avec PID ou équivalent), il faudra donner un prix aux services rendus par la nature : exercice de style très difficile. Que vaut l'air que nous respirons par mètre cube ?
    J'aurai tendance à donner un prix infini.
    En revanche, en donnant un prix à) ce qui pose problème pas dans le sens "ce que ça vaut" (car là aussi on est proche des théories sur les grands nombres : pour rappel ma définition cocace d'un prix basé sur le taux de renouvellement réel multiplié par la valeur actualisé de l'unité d'hydrocabures au moment où il aurait pu être utilisé) mais dans le sens combien il faut que ça coûté pour que l'on contienne macro-économiquement sous le niveau qui pose problème la consommation de ces ressources.

    By Blogger Vincent BRYANT, at mardi 23 janvier 2007 à 10:08:00 UTC+1  

  • Raisonnement par l'absurde:

    S'il existe une valeur qui indique ce qui est bien pour l'Humanité, que nous appellerions au hasard "PID", nous pourrions l'utiliser à tous les niveaux, pour juger quelle activité est "bonne" ou "pas" pour la société.

    Chaque individu aurait pour but de maximiser le PID qu'il génère.

    Nous abandonnerions l'argent (qui mesure les bienfaits matériels et qui, de toutes façons, est incluse dans cette mesure) et utiliserions cette nouvelle unité de mesure.

    Alors... alors cette nouvelle unité est une monnaie.


    Où est le problème ? C'est qu'on ne peut pas mettre tous les Français d'accord sur la pondération des critères constituant cette monnaie. Donc, sauf à t'autoriser des micro-monnaies ou à travailler dans un monde ultralibéral où les monnaies ne sont pas régaliennes, tu te mets le doigt dans le ***. Je poste en anonyme pour que mon nom ne soit pas associé si j'ai dit une connerie au sens économique du terme.

    By Anonymous Anonyme, at mardi 23 janvier 2007 à 18:21:00 UTC+1  

  • Bonsoir

    j'ai pas bien compris ton raisonnement, surtout à la fin, mais tu peux écrire en ton propre nom/pseudo nous aussi on dit certainement plein des inepties mais on essaye d'appliquer les quelques neurones interconnectés de notre cerveau sur des théories, pratiques, concepts qui nous intéresse.

    Donc exprime toi sans crainte, on ne juge pas ici, on apporte son point de vue avec le plus de modestie possible.

    A toi ...

    By Blogger Vincent BRYANT, at mardi 23 janvier 2007 à 20:40:00 UTC+1  

  • Je reprends alors le dernier paragraphe, qui était une réaction sur le PID:

    Le problème, donc c'est qu'actuellement 1 monnaie = 1 banque centrale = 1 état = 1 système d'imposition, à quelques nuances près (d'où l'expression d'activité
    régalienne
    : attaché à l'état). Hayek, auteur de renom dont le discours est repris par beaucoup de libéraux, proposait de rendre les monnaies privées; ainsi chaque Banque Centrale auraît pour intérêt que sa monnaie soit la meilleure, la plus stable, la plus efficace, etc.

    On pourrait créer d'autres monnaies qui jugent des échelles de valeurs différentes. Une monnaie qui donne des sous à celui qui fait progresser l'IDH.

    Comment donne-t-on des sous à celui qui fait progresser l'IDH ? On modifie le système d'imposition: dans cette monnaie seraient ponctionnés ceux qui "créent du malheur", et subventionnés "ceux qui font le bonheur". Ca paraît ridicule mais comment fait l'administration actuellement ? Elle impose plus les plus riches, elle accorde peut-être des avantages aux artistes, elle accorde des réductions d'impôts sur les dons aux associations jugées d'utilité publique, elle met quelques trop rares taxes sur le pétrole. Notre monnaie est donc bien associée à une échelle de valeur dans laquelle certains projets sont plus rentables.

    En achetant en dollars vous valorisez ce que l'échelle américaine juge bon. En payant en roubles c'est pareil: vous financez la mafia. Et en WikiMonnaie ? Et en pièces d'argent de Worlds of Warcraft, ce jeu sur Internet ? Etes-vous certains qu'on ne peut pas échanger ces monnaies contre des Euros, quelque part sur Internet ? Non, ce sont bien toutes des monnaies qui valorisent une autre échelle de valeur.

    Le problème est que si 1 monnaie = 1 état, il faut mettre tout ceux qui vont l'utiliser d'accord. Si les deux étaient dissociés, nous pourrions avoir en France une seconde monnaie associée à une autre échelle de valeur, par exemple associée à l'IDH, au PID, à la faible consommation d'énergie, aux qualités artistiques, etc.

    PS: tu sais très bien qui je suis, Vincent, fais pas le malin ;-)

    By Anonymous Anonyme, at mardi 23 janvier 2007 à 23:14:00 UTC+1  

  • http://www.pcinpact.com/actu/news/29389-30-000-comptes-fermes-sur-World-of-Warcraft.htm

    By Blogger pgg.au, at mardi 23 janvier 2007 à 23:16:00 UTC+1  

  • Bonjour,

    biensûr que je sais qui tu es, cette discussion sur les monnaies elle traîne depuis un petit moment déjà. Même Hayek était là je crois ;-) Mais t'as pas besoin d'écrire en anonyme.

    Je suis d'accord avec toi. J'estime aussi que les monnaies doivent rester régaliennes pour que l'Etat puisse garder un cotrôle et éviter les dérives. Après des monnaies ou quasi-monnaies privées peuvent biensûr voir le jour (et il en existe déjà : avec les tickets resto, chèque déjeuner en quelques sortes par exemple).

    Mais pour cela il faut rester sûr que ces monnaies plus "libres" respectent quelques critères d'admissibilité tels que consommation faible, respect social et environnemental etc.

    A cemoment je vois ton propos, on pourrait associer telle ou telle activité, produit, service à une unité de PID/IDH modulo son importance dans l'échelle de valeur du pays et de l'Union et du Monde aussi, il faut que cela reste compatible à un niveau supérieur. Sinon u pays peut se permettre de polluer comme un malade sans être inquiété.

    Oui ton idée de changement de monnaie indexée à des valeurs plus précises est à creuser mais je préfère toujours donner un prix aux problèmes (polluants locaux, CO2, uranium, consommation d'Eau, etc) et laisser les équivalences pour chaque produit, service se créer et y appliquer le bon prix.

    Car la solution reste laborieuse, il faut que 50,1 % de la population soit d'accord et on a pas 60 ans de sensibilisation devant nous.

    By Blogger Vincent BRYANT, at mercredi 24 janvier 2007 à 08:12:00 UTC+1  

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